Depuis hier, le GRIPAL est en grand deuil : notre fondateur et ami, André Corten, nous a quitté suite à une maladie fulgurante. Les témoignages à son endroit se multiplient et nous bouleversent autant qu’ils nous consolent, nous, ses anciens étudiants, ses co-chercheurs, ses nouveaux collègues… Un professeur de son département, Francis Dupuis-Déri nous a écrit ce matin pour dire que des démarches étaient faites pour que Corten soit nommé professeur émérite –bien qu’il ait toujours refusé tous les honneurs- mais qu’il serait, avant tout, « professeur éternel »…Cette image est celle qui nous restera de Corten…Lui qui traversait le temps, les époques et les modes intellectuelles sans jamais s’y coller, intemporel et toujours critique de par son ouverture à l’Autre et toutes ses dimensions cachées, bafouées, violentées…Ce regard, toujours intransigeant devant la facilité mais si généreux devant tout foisonnement d’idées, toute piste nouvelle émanant d’une véritable écoute du chercheur en symbiose avec son terrain. C’est ce qui l’a mené sur des chemins, toujours féconds, de la Belgique à l’Algérie, du Mexique au Brésil, de l’Afrique du Sud à Haïti…surtout Haïti, si mal comprise et d’où il nous rapportait pourtant les plus belles parcelles d’humanité, comme cette jeune fille qui cueillait des mangues pour les offrir aux plus affamés qu’elle, par simple solidarité sous le soleil écrasant. Toutes ces images incandescentes de l’Amérique latine –titre d’un de ses derniers ouvrages avec Vanessa Molina- nous accompagnent et nous inspirent. Tant de livres –plus de vingt en différentes langues- témoignent de ses innombrables travaux de recherche terrain partout dans le monde…Vivant toujours de manière très modeste sur le terrain, Corten appréciait d’autant plus les moments de partage –souvent de bons desserts dont il était si friand- que lui offraient spontanément ses répondants après les entrevues : je peux témoigner, avec Ricardo Peñafiel, d’un froid après-midi d’hiver austral de 1993, à la Población chilienne de La Pintana, où une famille très fière de sa visite lui avait fait goûter un fameux gâteau aux pêches, cuisiné sur un réchaud de fortune et dégusté ensemble autour d’une table posée sur un sol en terre battue, tout en parlant de religion et politique au Chili au sortir de la sombre dictature…La quête d’innovations conceptuelles qui a guidé les chemins de Corten est peuplée de ces imaginaires politiques et religieux, de ces interpellations plébéiennes et de ces expressions politiques de la souffrance, recueillis sur le terrain, tout autant que solidement ancrés dans une culture érudite sans pareil, toujours présentée avec humilité. Qui d’entre nous ne s’est pas demandé si nous serions un jour capables d’avoir seulement le dixième des connaissances de Corten? Cette capacité à nous signaler toujours de nouvelles avenues –y compris par une solide connaissance de classiques parfois négligés par le dernier engouement intellectuel- constituait une des plus grandes joies de travailler à ses côtés.
Merci Corten,
Hasta siempre cher professeur éternel,
Marie-Christine et Ricardo, avec tous les membres du GRIPAL
Une bibliographie complète de l’œuvre de Corten suivra sous peu ainsi que l’annonce d’événements de commémorations
Marie-Christine Doran et Ricardo Peñafiel, co-fondateurs et membres du GRIPAL
Credit photo : Ginette Bergeron