Animalité et performatif : un bestiaire québécois. La parole et le discours politiques

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Dans cette thèse de doctorat, j’interroge les effets politiques produits par des fables contemporaines québécoises. Chaque fable est analysée en fonction d’une problématique qui i) interroge les effets performatifs produits par des usages singuliers du langage ii) tout en rapportant cette interrogation à la relation étroite entre des définitions de l’« être humain » qui engagent le thème de l’animalité et des manières d’imaginer le pouvoir politique. Selon l’hypothèse qui guide cette recherche, la production de fables zooanthropologiques serait située à la jonction du langage et du pouvoir et constamment soumise à l’oscillation entre le discours et la parole politiques. La démonstration se concentre sur les effets de fable qui actualisent ou conjurent la souveraineté. i) Si les mécanismes discursifs de l’affirmation de la plus grande force, la provocation de la parole, la revendication de la certitude décisionnelle, la mobilisation de la menace et de l’instauration de rapports antagonistes ont pour effet d’actualiser la fable de la souveraineté; ii) il arrive qu’une parole située, ponctuelle et précaire se risque à produire un savoir approximatif en parlant des animaux et, l’instant de son énonciation, qu’elle ait pour effet de conjurer la fable de la souveraineté. Au chapitre premier, je problématise la littérature en la rapportant à la relation entre l’animalité (conjonction zoo-anthropologique) et le performatif (conjonction langage et pouvoir). À partir des textes clés de Jacques Derrida, Gilles Deleuze et Félix Guattari, Élizabeth De Fontenay et de Giorgio Agamben, je formule les principaux concepts opérationnalisés – le discours, la parole, la différence zooanthropologique, le hasard, la décision souveraine, la prothétatique, l’archive du langage et la fable de la souveraineté. Le deuxième chapitre propose une analyse du discours (André Corten, Dominique Maingueneau) qui démontre comment le simulacre narratif du loup a pour effet d’actualiser la fable de la souveraineté à partir d’un corpus regroupant des contes (Le Petit Chaperon Rouge, Les trois petits cochons et le Loup-garou d’Honoré Beaugrand), des affabulations politiques contemporaines (le loup solitaire, les loups du groupe nationaliste identitaire La Meute, et les loups de la grève étudiante de 2015). Quelques fables sont aussi utilisées pour exposer les effets de la parole (Dalie Giroux, Pierre Perrault, André Corten) à partir du récit autoethnographique (Albert Piette) d’un cauchemar et du film La bête lumineuse (Pierre Perrault). Dans le troisième chapitre, je raconte un séjour de recherche visant à documenter les pratiques d’occupation de l’espace, de séquençage du temps et de mise en scène du corps des Snowbirds qui fuient l’hiver québécois pour se réfugier en Floride. La description autoethnographique des données de terrain rend compte de l’oscillation entre le discours et la parole politiques qui affecte la position du chercheur. Tout en démontrant comment la fable de la souveraineté se manifeste loin de la vallée du Saint-Laurent, j’essaie de décentrer et de déhiérarchiser la production de savoir en assimilant la parole des Snowbirds croisés par hasard. Le quatrième chapitre expose les effets de la décision souveraine qui se diffuse dès la tenue du discours de la plus grande force. Une analyse du discours de l’événement « pitbull » menée à partir de nombreux documents (articles de journaux et commentaires de lecteurs, reportages, vidéos, expressions populaires et données de terrain) montre comment l’archive d’une langue politique peut avoir pour effet de prescrire la réception de l’événement et de régler la prolifération langagière. La démarche autoethnographique de la recherche permet, par ailleurs, de montrer comment la parole s’énonce malgré tout, par la bouche d’un parolier croisé par hasard, ou par celle du chercheur lui-même. Le dernier chapitre met en scène la parole autoethnographique du chercheur en compagnie de Nellie, la chienne que je côtoie au quotidien. En montrant que le langage, même en parlant d’une chienne, demeure affabulé, j’approfondis la réflexion épistémologique sur le décentrement du chercheur qui s’opère, cette fois-ci, autant par l’assimilation de la parole étrangère qui s’énonce, à tout hasard, en présence de Nellie que par l’intégration du non-humain dans la production de savoir. Il en découle une problématisation du langage menée sur trois axes: la parole et le discours, la singularité idiomatique que Nellie et moi avons en partage, et la sémiographie qui regroupe la multiplicité des archives des vivants. Si chaque chapitre s’est construit en suivant les manifestations hasardeuses de l’animalité, lesquelles, par leur surgissement se sont imposées comme objet d’analyse, leur capture par le chercheur permet de montrer comment la différence zooanthropologique s’instaure et se met à circuler dès la tenue d’un discours ou dès l’énoncé d’une parole. En décentrement du mieux que je l’ai pu les savoirs produits dans cette thèse, j’ai voulu conjurer la fable de la souveraineté qui s’actualise dès que quiconque revendique la capacité de décider en toute certitude pour les animaux et, aussi, pour les humains.

  • Auteur-e-(s): Charles Deslandes
  • Date: novembre, 2019
  • Référence: Charles Deslandes (2019), Animalité et performatif : un bestiaire québécois. La parole et le discours politiques, Thèse, Ottawa (Ontario-Canada), École d'Études Politiques de l'Université d'Ottawa, Doctorat en science politique.